lundi 14 mai 2012

Analyse en mosaïque


L’excellent Purge, qui a remporté à raison le prix Femina 2010, nous avait révélé la force de l’auteure finlandaise Sofi Oksanen. À rebours, on nous fait découvrir son premier roman, Les vaches de Staline, maintenant publié en français, toujours chez Stock.

Dans ce premier roman, Sofi Oksanen explore déjà les processus narratifs qu’elle utilisera dans Purge. Les points de vues de la mère, Katriina, et de la fille, Anna. Les allers et retours entre le présent, le passé, l’entre-deux. Et deux mondes, l’Estonie et la Finlande, si près, mais si loin, unis par un traversier. L’écriture est peut-être moins précise et dirigée que ce qu’on a lu dans Purge, mais Les vaches de Staline se défend très bien et ses arabesques complexes, même parfois un peu trop étirées, stimulent le lecteur. 

La politique et l’histoire avaient pris beaucoup d’importance dans Purge : on les trouve toujours en filigrane dans ce roman, qui est plutôt dominé par les préoccupations individuelles, notamment celles d’Anna, la fille, qui vit avec la boulimie et l’obsession d’un corps parfait. Une maladie qu’elle analyse, qu’elle explique et qu’elle décrit avec une précision maladive. Anna est centrée sur elle-même, elle est orgueilleuse, elle n’arrive que difficilement à tisser des relations avec les autres. On trouve les origines de la personnalité torturée d’Anna chez son père, toujours absent, qui côtoie les filles de joie russes dans ses voyages d’affaire en URSS, mais surtout chez sa mère, Katriina, qui a toujours cherché à cacher ses honteuses origines estoniennes. Ce casse-tête imbrique aussi toute l’histoire de la famille d’Anna, les sévices de la Deuxième Guerre mondiale, les tromperies familiales à l’époque de l’Estonie soviétique, les mensonges, les déportations en Sibérie et la misère, souvent causée par ceux qui étaient les plus proches. 

Les vaches de Staline, avec son côté plus dur, plus complexe, apparaît comme un diamant brut, et prouve encore une fois le talent de Sofi Oksanen.

- Bryan St-Louis

Les vaches de Staline, de Sofi Oksanen, chez Stock.