jeudi 26 avril 2012

Le retour à la terre


Théo a « réussi » : il a un boulot très payant, un avenir prometteur dans le monde de la publicité, un condo à Montréal et une blonde superbe. Mais voilà, a-t-il vraiment réussi? Réussi quoi? Théo remet tout en question et décide, sur un coup de tête, de louer une maison à Saint-Simon, près de Trois-Pistoles, la région qui avait vu naître son grand-père. Il quitte la ville et son emploi pour une région où il n’a même jamais mis les pieds.

Dans ce premier roman, Gabriel Anctil présente la région où il a lui-même décidé de s’exiler à la fin de ses études. Sur la 132 est un hommage à la région, aux grands espaces, mais surtout à un autre genre de vie : c’est un roman réflectif et optimiste, centré sur les vraies valeurs et la redécouverte de soi.

Il faut plonger dans Sur la 132 avec un enthousiasme bon enfant. Même si on a réellement chercher à éviter les clichés, Sur la 132 est un feel good book, teinté par l’illumination. Théo vit une crise existentielle et effectue son retour à la terre pour découvrir ce que c’est, la vraie vie. Voilà, au fond, à quoi se résume Sur la 132, et c’est une trame qui a maintes fois été explorée, tant au cinéma que dans la littérature. Pourtant, l’auteur a bel et bien tenté d’apporter des nuances, d’éviter la facilité, et de bons passages étoffés offrent des descriptions très réalistes de Saint-Simon, de Trois-Pistoles et du mode de vie des villages. Mais inexplicablement, même dépeintes avec ses travers, ses commérages et sa réalité économique, la région sort trop comme la grande gagnante d’un combat dichotomique où Montréal, ville de strass, de cocktails et de sushis, ne semble que vile, froide et superficielle. Théo tisse des liens véritables et spontanés en région, alors que ses amitiés à Montréal semblent toutes avoir été établies sur de mauvaises bases. Le Théo de la ville ne se concentrait que sur son salaire et les plaisirs éphémères : en région, il découvre enfin en région l’importance de la politique et la richesse de la littérature québécoise… 

Soit on partage l’émerveillement de Théo, qui s’ouvre enfin les yeux. Soit on se demande ce qui l’empêchait de lire du Gaston Miron à Montréal.

Au fond, peut-être qu’il est tout simplement impossible de ne pas froncer les sourcils à quelques endroits dans ce long roman de 500 pages lorsqu’on est un lecteur qui connaît bien la région et la ville, leurs avantages et leurs désavantages respectifs.
 
Sur le plan humain, Sur la 132 propose quand même un message d’espoir et d’ouverture. Le roman met aussi en scène un personnage qu’on voit trop peu dans la littérature québécoise contemporaine : la région. Si on peut aussi critiquer l’originalité du projet, on ne peut que saluer l’authenticité de la démarche de Gabriel Anctil, qui nous offre une œuvre très personnelle. L’auteur réussit à nous faire partager son bien-être et la sincérité de sa démarche. C’était sans doute l’objectif le plus important à atteindre.

- Bryan St-Louis

Sur la 132, de Gabriel Anctil, chez Héliothrope.

mercredi 25 avril 2012

Derrière l'étoile jaune, le triangle rose


Au début des années 30, Michael Renner quitte Halifax pour aller prendre soin de sa grand-mère, qui habite à Berlin. Le voyage qui débute pour le jeune homme est l’occasion de renouer avec ses racines allemandes, mais aussi de découvrir sa vraie personnalité. Michael décidera de rester à Berlin, d’y faire sa vie. Cependant, alors qu’il tente de se créer une vie « normale », d’avoir une femme et des enfants, l’underground berlinois décadent de l’entre-deux guerre l’appelle et l’enivre, d’autant plus qu’il y croise Jan, un jeune prostitué pour lequel il se passionne. Envers et contre tout un régime qui écrase la différence, Michael a déjà commencé à suivre un chemin duquel on ne revient pas…

Par l’entremise de ces deux personnages, Stephens Gerard Malone amène le lecteur à découvrir le sort réservé aux homosexuels par le régime nazi, qui étaient encore plus bassement considérés que les Juifs, et dont le destin a été souvent ignoré. Le récit, échelonné sur plusieurs années, nous montre également la progression des répressions nazies pour le peuple juif, mais aussi l’ensemble des difficultés vécues par tout le peuple allemand. On comprend la colère et l’humiliation du peuple allemand au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, mais on s’effare quand même de voir le peuple juif devenir le levier d’un peuple qui cherche à retrouver son lustre.

Cinq minutes de plus à Berlin est évident un récit troublant. Par contre, au final, il est difficile de ne pas comparer le roman à d’autres œuvres autrement plus puissantes produites sur ce thème, comme Le pianiste et d’autres Liste de Schindler. En utilisant des protagonistes homosexuels, Malone présente un volet moins connu de cette tragique histoire qui fait à lui seul valoir le détour. Cependant, cet angle nouveau n’arrive pas à sauver complètement le roman : il manque à Cinq minutes de plus à Berlin une force de frappe supplémentaire. Évidemment, les horreurs vécues au cours de la Deuxième Guerre mondiale ne peuvent que faire vivre de vives émotions et on est véritablement ému par certains passages : il est tout simplement impossible de rester impassible en imaginant la réalité vécue dans les rues de Berlin en lisant les descriptions de Malone. C’est souvent dans les détails et dans des moments fugaces que les mots de l’auteur auront le plus d’écho. Sinon, on a l’impression que les émotions vives sont emmenées par l’Histoire elle-même, celle avec un grand H, qui s’est jouée au-delà des protagonistes du roman. En effet, lors qu’elle les met en scène ses personnages, l’écriture de Malone s’avère peut-être un peu trop clinique et descriptive pour un roman où l’amour et les pulsions jouent un rôle aussi important.

- Bryan St-Louis

Cinq minutes de plus à Berlin, de Stephens Gerard Malone, chez Québec Amérique.

mardi 24 avril 2012

Encore une fois, François Blais


On débute la lecture de Document 1 et on se doute déjà de comment ça va finir. On les regarde aller, Tess et Jude, le nouveau « couple » asocial et mésadapté mis en scène par François Blais, et on sait déjà que ça parle plus que ça agit, ce monde-là. Ça se pense plus brillant que la moyenne des ours. Et, en effet, ils sont pas mal intelligent et cultivés : ça paraît qu’ils en ont passé, du temps, à surfer sur les Internets. Ces deux-là pourraient faire pas mal mieux de leur vie que de travailler au Subway ou être sur l’aide sociale, mais bon, Tess et Jude sont de la trempe de ces joyeux losers qu’on a déjà côtoyés dans les autres romans de François Blais.

C’est vous dire à quel point on les aime d’amour. Dès les premières lignes.

Tess et Jude préparent un voyage : après avoir passé des soirées à regarder des noms de ville sur Google Earth, il fallait bien passer à la prochaine étape. Cette prochaine étape, ce sera d’aller visiter Bird-in-Hand, un village de Pennsylvanie. Pour vrai. Évidemment, il faut financer le périple. Par l’entremise d’un prétendant de Tess, autrefois écrivain, nos deux amis obtiennent une subvention du Conseil des arts et des lettres du Canada. Par contre, ils se doivent de nous raconter leur voyage et ses préparatifs. D’où ce Document 1 qu’on a entre les mains.

Évidemment, on sait donc déjà comment ça va se terminer. Ce nouveau roman de François Blais ressemble beaucoup aux autres. Et on s’en fout royalement. On rit. On rit comme on ne rit jamais assez en lisant un roman. Tess et Jude sont irrévérencieux, allumés, critiques. Ils sont attachants. Ils sont drôle, le ton est juste, ça coule.

Ils ne feront jamais rien, ces deux-là. Même dans un prochain roman. Mais qu’est-ce qu’on s’en fout. Est-ce qu’on vous a dit qu’on les aime d’amour?

- Bryan St-Louis

Document 1, de François Blais, chez L'instant même.