mardi 18 novembre 2008

Les vraies affaires

L’oncle de Eemeli Toropainen a passé sa vie à brûler des églises : pourtant, au moment de sa mort, il demande à son neveu de créer une fondation et de bâtir un nouveau lieu de culte en sa mémoire. L’entreprise est étrange, parce qu’elle est la demande d’un communiste athée, mais aussi jugée absurde, parce qu’il n’y a, juge-t-on, aucune raison de bâtir une nouvelle église en 1990, en Finlande, alors que la plupart des autres églises se sont vidées au fil des ans. Qu’à cela ne tienne, Toropainen réalise les dernières volontés de son oncle et crée autour de cette nouvelle église une petite communauté, Ukonjärvi, qui, verra-t-on, sera presque bénie des Dieux. En effet, à partir de cette prémisse, Arto Paasilinna crée dans une fable futuriste et pessimiste, mais réaliste (le roman a été publié en 1992), où le monde sombre dans une crise économique (entraîné par les problèmes de l’Allemagne) doublé d’un drame écologiste (une centrale nucléaire explose près de Saint-Pétersbourg) qui amène le monde vers la ruine, la famine, et finalement la guerre... alors que la petite communauté de Ukonjärvi survit et prospère. Avec son style caractéristique, son humour particulier et son sens du réalisme, Paasilinna prône encore une fois par l'entremise de ses anti-héros le retour à la nature et le gros bon sens, critique les travers de notre société de surconsommation, la lourdeur de la bureaucratie et notre manque de vision collectif. Le récit démarre peut-être un peu lentement, la communauté de Ukonjärvi est certes un peu trop idéalisée, mais à la fin du roman, c’est sûr, on aimerait tellement y habiter…

Le cantique de l'apocalypse joyeuse, Arto Paasilinna, éditions Denoël et d'ailleurs.

lundi 17 novembre 2008

L'écrivain masqué frappe encore

François Blais a déménagé ses lettres chez Hurtubise HMH pour ce troisième roman au titre impossible : un roman où on ne retrouve ni vengeur masqué, ni hommes-perchaudes, mais où l’on retrouve le style frais et toujours franchement drôle de ce jeune auteur – qui remporte sans doute cette année le prix de la prémisse de roman la plus citée dans les médias. Les recensions se font par contre plutôt rares, et pourtant on retrouve dans ce nouvel ouvrage quelques uns des ingrédients qui avaient fait de Nous autres, ça compte pas un livre remarqué. Encore une fois, deux jeunes de Québec habitent en marge de la société, se créent un confortable microcosme d’où les autres sont exclus, jugent au passage les autres citadins… Mais cette fois, tiens donc, la vie de bohème aurait peut-être assez duré? En utilisant la même graine, Blais arrive à se réinviter un peu pour une nouvelle histoire à la finale un peu plus sérieuse, qui arrive un peu trop vite. L’écriture reste toujours riche et vivante, et juste pour cela, ce nouveau Blais vaut le détour. Un petit bémol pour l’ajout d’un conte en parallèle, dont on ne comprend pas vraiment l’utilité (ou la symbolique?)...

Le Vengeur masqué contre les hommes-perchaudes de la Lune, de François Blais, chez Hurtubise HMH.

Bête sauvage

Résumer le deuxième roman de Laurent Chabin aux éditions Coups de tête, Speranza, c’est s’adonner au pire des exercices. Parce que tout de suite après avoir expliqué que Chabin propose ici une vision particulière du mythe de Robinson Crusoé, on pourrait être tenté de s’accrocher aux détails croustillants (genre quand le héros baise une chèvre pour assouvir ses pulsions pis qu’il la tue sans faire exprès parce qu’il est trop lourd, t’sais?) Pourtant, on a tout intérêt à mettre un peu de côté ce qui semble trop gros dans cette histoire (genre quand Robinson devient le dominant dans une relation homosexuelle particulièrement charnelle avec un jeune esclave qu’on avait emmené sur son île pour un sacrifice, t’sais?) et à se concentrer plutôt sur la réflexion philosophique qui se cache derrière cette fable : la société est-elle innée chez l’être humain? Les pulsions et réactions de l’homme sont-elles inhérentes à l’être humain et inévitable dès qu’on entre en relation avec d’autres êtres vivants? On a appris à connaître Laurent Chabin, à apprivoiser son style si particulier, cru mais intelligent, qui pose de bonnes questions sur l’homme et sa société. Par contre, dans Speranza, l’arbre cache peut-être un peu trop la forêt. Le lecteur trop sensible est peut-être mieux de s’abstenir, celui qui veut se questionner aurait intérêt à plonger. Comme un animal.

Laurent Chabin, Speranza, aux éditions Coups de tête, 90 pages.

Cette semaine à Épilogue [23 novembre]




Andrée Laberge a été employée des services sociaux puis docteure en épidémiologie et chercheuse en santé publique.
Mais c'est pour son nouveau métier, celui d'écrivaine, qu'Épilogue a reçu Andrée Laberge. Après Les oiseaux de verre et L'Aguayo, Andrée Laberge a publié en 2006 La rivière du loup, un roman pour lequel elle a remporté le prix du Gouverneur général.

Elle nous revient ces jours-ci avec Le fin fond de l'histoire, un roman éclaté, bavard, qui nous présente quatre personnages, très forts et complexes, qui ont chacun à leur manière des comptes à régler avec le passé et leur identité. Il y a une jeune fille aux traits amérindiens qui n'ont rien à voir avec ceux de ses parents et qui se questionne sur ses origines.

Un infirmer solitaire, enfant orphelin et adulte divorcé qui tente de noyer son mal de vivre en aidant les autres, quitte à en faire un peu trop.

On rencontre aussi une «vieille folle», une femme de 78 ans, qui revient à Québec dans l'espoir de revoir son «chéri», un séminariste qui lui a fait un enfant. Occasion aussi de revivre de douloureux souvenirs des Cove Fields, ce Faubourg de la misère, érigé sur les Plaines d'Abraham pour loger les familles pauvres dans les années 40.

Et, dans tout ça, la voix frénétique d'un quatrième personnage, un sans-abri, qui observe cette galerie de personnages et intervient entre parenthèses dans un souffle d'écriture d'une grande spontanéité.

Chacun a sa petite histoire, intimement liée à la grande Histoire, celle de la Ville de Québec.

Valérie Gaudreau
a rencontré Andrée Laberge
À lire aussi, la critique de Valérie parue dans Le Soleil du dimanche 16 novembre.


Épilogue, dimanche 12h
rediffusion lundi 10h
sur les ondes de CKIA 88,3-FM à Québec
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