jeudi 31 mai 2012

Étoile du Nord


Je dois avouer qu’il y a un an, j’avais débuté avec quelques préjugés la lecture de  L’escapade sans retour de Sophie Parent, le dernier roman de Mylène Gilbert-Dumas. Il y avait quelque chose qui sentait trop la croissance personnelle et l’écoute du moi profond dans l’histoire de cette femme qui décide, sur un coup de tête, d’abandonner sa vie rangée, parfait en apparence, parce qu’elle trouvait qu’il y manque de sens. Mais j’avais fini par être happé par ce roman intelligent, nuancé, bien construit, qui faisait réellement du bien. Sans faire de prêchi-prêcha, Mylène Gilbert-Dumas avait proposé une histoire pleine de réalisme, sensible, sur l’importance de trouver un sens à sa vie et de suivre son instinct, même si ce chemin était lui aussi parsemé d’embûches et de choix difficiles.

C’est donc dire que j’avais hâte de lire Yukonnaise.

D’emblée, on constate qu’il y a plusieurs parallèles à tracer entre Yukonnaise et L’escapade sans retour de Sophie Parent : les deux histoires suivent des trames semblables, et le désir d’Isabelle, ancienne esthéticienne superficielle de Sainte-Foy, de changer sa vie n’est pas sans rappeler celui de Sophie Parent. Tous les choix d’Isabelle ont été fait en fonction de critères sociaux basés sur le paraître : son métier, son look, sa vie amoureuse. Mais voilà que le vernis craque :  elle apprend, elle s’ouvre, elle découvre de nouvelles façons de vivre. Après que son copain l’ait quittée pour une autre, plus jeune, elle fait la rencontre de Guy. Il habite au Yukon. Après quelques semaines de correspondance, elle décide d’aller le rejoindre. Les chocs qu’elle subira à Dawson City métamorphoseront à jamais Isabelle.

Yukonnaise n’est pas qu’une pâle copie de L’escapade sans retour de Sophie Parent et ce nouveau roman frappe encore plus fort que son prédécesseur. Armée de sa propre expérience de la vie au Yukon, Mylène Gilbert-Dumas trace avec précision le portrait de cette vie fascinante, oh combien différente, avec ce qu’elle propose de plus magique, mais aussi de plus difficile et tragique. Les personnages sont encore plus entiers, plus sentis. Les questionnements qu’ils vivent sont décrits avec nuance, avec simplicité malgré leur complexité, et on sent les impacts et répercussions de leurs décisions. Encore une fois, au final, c’est la quiétude intérieure qui triomphera. Yukonnaise est un roman populaire et accessible sans être convenu et cliché, et la réelle sensibilité avec laquelle y sont abordés ses thèmes le prévient des critiques faciles. Mylène Gilbert-Dumas s’impose aisément au-dessus de la mêlée avec son réel talent de romancière.

- Bryan St-Louis

Yukonnaise, de Mylène Gilbert-Dumas, chez vlb éditeur.

mardi 29 mai 2012

Comme une odeur de poussière


Sa dernière œuvre pour adultes, La mort de Mignonne et autres histoires, avait été publiée en 2005. Sept ans plus tard, toujours hantée par le souvenir de la jument Mignonne, Marie-Hélène Poitras nous revient, chez Alto, avec Griffintown.

Le quartier ouvrier montréalais de Griffintown est le repère des chevaux et des caléchiers qui animent les rues du Vieux-Montréal pendant la belle saison. Sous la plume de la journaliste, Griffintown devient le Far West et les caléchiers, des cowboys tous singuliers qui habitent dans un monde retranché. Marie, jeune Rose au cou cassé, tente de faire sa place dans ce milieu. Mais c’est le dernier été de Griffintown qui s’amorce : dans cette histoire de meurtre et de vengeance, les anciens cowboys doivent faire face aux nouveaux cowboys.

L’écriture de Marie-Hélène Poitras est pleine. Son roman, foisonnant et évocateur. On n’a aucune difficulté à imaginer ce Griffintown poussiéreux, anachronique, comme si on avait tracé autour du quartier une frontière qui nous amenait directement dans le désert du Texas, comme si chacun des personnages croisés dans le roman sortait directement d’un saloon. Les mots suggèrent les odeurs, les ambiances, les sons. Tout y est, y compris une finale digne d’un grand western. Tout dans Griffintown est parfait, précis, et chaque fois utile. En fait, tout y est si léché, tout y sent tellement le travail acharné que parfois, par moment, on peut avoir l’impression qu’il manque un peu de fougue et de légèreté à ce court roman digne de l’orfèvrerie. Comme si le vernis de cette grande fresque était trop brillant. Mais, au final, on ne peut que saluer la qualité de cette entreprise littéraire qui montre encore une fois le talent de Marie-Hélène Poitras.

- Bryan St-Louis

Griffintown, de Marie-Hélène Poitras, chez Alto.