Jade Bérubé
propose une micro-plaquette d’à peine quelques pages, peuplée de courts récits à peine commencés qu’ils sont déjà terminés. Un livre d’autant plus minuscule qu’on a entrecoupé les textes d’une série de photos! Bien sûr, on peut dévorer le livre de Jade Bérubé en quelques minutes à peine, mais on aurait avantage à ralentir son rythme de lecture et s’attarder sur chacun des mots choisis par l’auteur. Car derrière ce petit ouvrage se cache un réel et minutieux travail d’écriture, et on le sent. La plume de Jade Bérubé est poétique, touchante et la jeune auteure propose images et voyages au lecteur qui saura se laisser bercer par ses mots. Nouvelles? Pas vraiment. Récits, plutôt, qui espère-t-on, saura trouver le public plus littéraire qui lui est dû.lundi 3 mars 2008
L'enlèvement de Sarajevo
Cyrille Martinez
a su trouver le titre qui frappe. Mais il y a peu de président américain dans L’enlèvement de Bill Clinton : dans ce récit qui nous amène à Sarajevo, en 1994, dix ans après la tenue des Jeux olympiques d’hiver, il y a beaucoup plus de souvenirs de Katarina Witt et des exploits des skieurs de fond soviétiques. Nedim Hrbat, héros de cette fable (dont la narration est inexplicablement faite au tu), se rappelle et se souvient d’un passé plus glorieux de sa ville. La comparaison entre le Sarajevo de 1984 et celui de 1994 n’est pas nouvelle et quelques passages un peu trop touffus auraient eu avantages à être resserrés. Néanmoins, on aimera comment la forme du texte soutient le fond de ce récit, la façon dont la narration confuse rappelle la destruction de la ville bosniaque et comment les phrases laissés en suspens sont porteuses de sens. On appréciera aussi les souvenirs et les anecdotes des Jeux olympiques de 1984, petites histoires oubliées qui ne manqueront pas de nous intéresser.L'enlèvement de Bill Clinton, de Cyrille Martinez, chez L'Instant Même, 122 pages.
Derrière le papier glacé
Le quatrième de couverture de Un monde de papier nous annonce l’histoire d’un homme qui « tombe » dans les pages d’un magazine féminin. On n’avait pas vraiment pris ce « tomber » au pied de la lettre en s’imaginant une histoire à la Rumeurs, où un pauvre garçon allait trimer à la création d’un magazine. « Tomber », ça veut vraiment dire tomber : sans trop qu’on sache comment ni pourquoi, le héros de Un monde de papier devient l’habitant des pages glacées d’un magazine qu’il feuillette. Au détour des pages, il y rencontre un mannequin de Hugo Boss, Uma (Thurman, devine-t-on) et quelques autres des personnages qui peuplent d’ordinaire les magazines féminins. Sa quête se dessine assez rapidement : il doit sortir de la revue, en délivrant par la même occasion, si possible, ses nouveaux amis de leur vie éphémère. Car voilà déjà que plane sur la revue une menace encore plus grande que celle de l’Ogre qui fait régner l’ordre dans les pages du magazine : la revue est jetée aux rebuts et bientôt, elle sera détruite...
Il y a quelques bonnes trouvailles et quelques bonnes idées dans le nouveau roman de François Desailliers. Cependant, il y manque quelque chose, comme si la sauce ne prenait jamais tout à fait. Il n’y a certes pas l’humour auquel on aurait pu s’attendre, ni de critique acerbe du milieu des magazines féminins. Soit. Même sans humour, on aurait aimé quelque chose de plus mordant. Les personnages, alter ego de leurs jumeaux de papier, manquent de généralement de profondeur et de nuances : ils sont toujours tout bons ou tout mauvais. Ni tout à fait une critique, ni tout à fait une parodie, Un monde de papier cherche sa direction. Les extraits de Faust et les quelques anecdotes philosophiques n’arrivent pas à compenser pour le manque de direction du roman et à lui apporter une profondeur. Pas une critique, pas un roman sérieux, roman d’aventures aux grosses ficelles : Un monde de papier s’avère un ouvrage sympathique, mais qu’on oubliera peut-être un peu vite… Comme une revue?
Un monde de papier, de François Désailliers, chez Tryptique, 183 pages.
dimanche 2 mars 2008
Concerto pour les mouches
Troisième roman, troisième maison d’édition : Sébastien Chabot a beaucoup voyagé ses lettres depuis la parution de son premier ouvrage, Ma mère est une marmotte. Les jaquettes ont certes été différentes, mais plusieurs constantes restent dans l’écriture de Chabot : on retrouve dans son dernier roman, Le chant des mouches, le décor matapédien halluciné, très ducharmien, qu’il habite depuis quelques temps. Encore une fois, les animaux, la religion, la famille et l’enfance sont présents. Cette fois, dans un synopsis qui n’est pas sans rappeler la trilogie du Grand cahier d’Agota Kristof, Chabot suit le destin de deux jumeaux, séparés à la naissance, qui habitent chacun un côté du village de Sainte-Souffrance, séparé par un immense trou. Les décors sont semblables, mais l’écriture de Chabot évolue : plus assuré, loin des irritants excès et de la démesure de L’angoisse des poulets sans plume, l’auteur prêche cette fois un peu plus de simplicité. Chabot adopte une forme plus traditionnelle, où les coups d’éclat langagiers sont peut-être moins nombreux, mais qui sert l’histoire avec plus d’efficacité. Le chant des mouches a certes une certaine lourdeur littéraire, hanté par les palpables influences littéraires de Chabot, mais il y a assurément dans cette jeune voix une singularité qu’on sent encore en plein travail.
Le chant des mouches, de Sébastien Chabot, aux Éditions Alto.
Récit à la sauce biographique
On demande à un biographe d’écrire un livre de recettes inspiré des goûts culinaires de Maria Callas. Surpris par difficulté de la tâche, l’écrivain amorce une correspondance avec un éminent spécialiste, qui livre bribe par bribe, au fil de ses réflexions et de ses découvertes, des tranches de la vie de Callas, des anecdotes sur sa vie, sur son alimentation. Récit? C’est du moins ce qu’affirme la page de garde de Les recettes de la Callas. La quatrième de couverture nous dit aussi que « Réal La Rochelle s’aventure pour la première fois sur le territoire de la fiction ». Au fil des pages, il est difficile de ne pas voir le fantôme de l’auteur La Rochelle se dessiner derrière le personnage du spécialiste, ni de voir poindre ça et là quelques passages trop collés à la vie de l’auteur, lui-même grand amateur de Callas et biographe de Denys Arcand – ah! Voilà pourquoi on fait allusion aux Invasions barbares. La Rochelle s’est-il commandé lui-même un ouvrage sur la Callas que personne ne lui demandait? Trop de détails techniques, de numéro d’œuvres, de titres et même de références bibliographiques viennent entacher ce « récit » : on ne peut s’empêcher de se questionner sur la véritable nature de ce texte et les véritables intentions de l’auteur. Dommage : car La Rochelle a la passion de la Callas, c’est évident. Certaines des anecdotes du textes sont réellement intéressantes et peuvent faire découvrir la grande diva à un lectorat qui ne s’y connaît pas nécessairement en musique classique, ou qui ne s’intéresse pas déjà à la Callas. Malgré ses bons passages, c’est peut-être là que Les recettes de la Callas échoue : s’il fallait faire le passage vers la fiction, il fallait le faire complètement, et non pas travestir une biographie en y rajoutant quelques inexplicables et questionnables recettes de maman…
Les recettes de la Callas, de Réal La Rochelle, chez Leméac, 103 pages.
Explosion de talent
Finalement, une traduction de Neil Smith nous permet de découvrir cet auteur canadien anglais, né à Montréal, qui a entre autres été nominé plusieurs fois pour le Journey Price, un important prix littéraire canadien. Le recueil Big Bang nous laisse présager le meilleur. Les personnages de Neil Smith sont empreints de beaucoup d’humanité : ils sont riches, entiers, intéressants. Chacun d’entre eux, au cours du recueil, se retrouvent au bord du changement qui bouleversera leur existence. Partant de cette idée générale, Smith exploite des thèmes et des styles variés, amenant le lecteur de l’amour au cancer, de l’incroyable réalisme de la mort au fantastique, alors qu’on suit, quelques pages durant, le personnage d’une jeune fille de huit ans qui vieillit d’un an par jour. Smith joue avec un style simple, mais efficace. Un très bon moment de lecture.
Big bang, de Neil Smith, aux Allusifs, 181 pages.
Titre trompeur
Il y a peu d’Hitler dans le dernier recueil de nouvelles de David Albahari. Il y a bien peu de Chicago aussi : il faut savoir déchiffrer adéquatement la jaquette de l’ouvrage, qui nous montre en effet un Amérindien, découpé sur une carte de l’Europe de l’Est. Car c’est de l’ex-Yougoslavie dont il sera le plus question aussi, de l’Ouest canadien, d’immigration, de la population amérindienne, et de la difficulté à s’adapter à un nouveau pays et une nouvelle culture. Entre la nostalgie, l’oubli et la nouveauté, comment les différents personnages des nouvelles de David Albahari sauront s’adapter au Canada et à ses mœurs? L’écriture de Albahari est sensible. L’auteur, né en Serbie et maintenant immigré au Canada, a une connaissance profonde des thèmes qu’il aborde. À mettre dans les mains de tous ceux qui s’intéressent aux questions d’immigration et de diversité culturelle.
Hitler à Chicago, de David Albahari, aux Allusifs, 208 pages.
L’autre visage de la Isla Bonita
Maya Ombasic connaît bien Cuba : les nouvelles qui composent son recueil sont autant d’occasions de découvrir les autres facettes de Cuba, trop souvent vu comme un simple paradis tropical. Parmi les nouvelles les plus marquantes de Chroniques du Lézard, on retrouve d’ailleurs les nouvelles qui font écho aux comportements des touristes à Cuba : bordels peuplés de jeunes Cubaines, femmes à marier… La mer, cette immonde cimetière, qui raconte l’histoire d’une mère qui a perdu son fils dans l’océan, touche aussi. Le court recueil de Maya Ombasic n’est pas toujours égal, certaines nouvelles tombent un peu plus à plat pour un lectorat peu familier avec l’île cubaine : l’auteur fait cependant preuve d’originalité dans sa démarche et saura assurément joindre un public intéressé aux questions latinos-américaines.
Chroniques du Lézard, de Maya Ombasic, chez Le Marchand de Feuilles, 109 pages.