samedi 8 décembre 2007

Docteur ès imagination

Il n’y a pas d’histoire, dans Docteur Nullité. Seulement un prétexte : un vieux riche, un peu sénile, est parachuté dans un village peuplé d’enfants orphelins, et donne en parallèle à cette trame des conférences ludiques, truffées d’incohérence et d’anachronismes, on ne sait trop où, sur l’histoire du monde et la vision très particulière qu’il en a. Un prétexte, on le répète : prétexte à jouer avec les mots, à s’amuser de l’histoire, à faire rire. On rit et on sourit, en effet, de cette douce folie, même si, bon, un peu plus d’histoire n’aurait aussi pas pu nuire. L’humour absurde ne plaira évident pas à tous, même si certains passages de cette petite fable sont vraiment savoureux. Enfin, un texte de prose humoristique : il y en a si peu dans notre littérature québécoise.

Docteur Nullité, de Simon Paquet, chez Leméac, 131 pages.

Le crime du Latino-Express

Le prix Robert-Cliche est chaque année synonyme d’appréhension, mais au cours des dernières années, il fut aussi signe de déception. Sans déprécier le travail des derniers lauréats, il manquait souvent une petite étincelle qui aurait rendu ces romans plus inoubliables. Stéphane Achille est une surprise rafraîchissante. Un musicien sans succès se fait aspirer par une spirale de coïncidences et se retrouve en Amérique du Sud, en train, à converser avec un dictateur en fin de carrière… Si son Balade en train assis sur les genoux du dictateur n’est pas parfait, il y a quand même dans son idée de départ, sa construction et sa vision globale une énergie particulière qui fait passer un bon moment de lecture. Peut-être le tout n’a-t-il pas l’approfondissement qui en aurait fait une œuvre de réflexion plus intense, et les passages sur la carrière de musicien sont teintés d’un peu de redondance… Mais le petit éclat dans l’écriture de Stéphane Achille nous dit que le meilleur est encore à venir.

Balade en train assis sur les genoux du dictateur, de Stéphane Achille, chez vlb éditeur, 190 pages.

Lecture fluo

Couleur vive (surtout jaune fluo), lettrage stylisé, titre humoristique. On connait la collection «Girls in the city» (en anglais, s’il vous plait). Ça y est, tout est dit. On imagine déjà Sarah Jessica Parker et Kim Cattrall s’échanger le roman d’Ellen Willer en cadeau de Noël. On pourra toujours critiquer les ficelles trop évidentes de ces romans de filles un peu trop prévisibles, sa surabondance de clichés et leur manque de qualité littéraire (ici et là, quelques coquilles et fautes de français, mentionnons-le). Mais puisqu’il faut un plaisir coupable, pourquoi pas celui de la lecture… Si Ellen Willer n’a pas le charme de Helen Fielding ou l’humour facile de Sophie Kinsella, elle s’en tire plutôt bien avec cette petite histoire qui mélange romance et téléréalité. Engagée à la dernière minute pour produire une émission qui rappelle vaguement le Bachelor, Emmanuelle joue sa carrière et ne peut s’empêcher de craquer pour Frantz, le beau prince que se dispute les candidates de l’émission. Allez, faites un effort, vous savez déjà comment ça va se terminer!


Le prince charmant met de l'autobronzant, de Ellen Willer, Marabout Éditeur, 377 pages.

Dans un grand nord loin de chez vous

Le cinquième ouvrage de la collection Coup de tête n’est toujours pas le roman de gare, le roman d’aventure ou le roman populaire prenant qu’on continue un peu d’attendre dans cette collection… On aimerait que les auteurs de cette série de courts romans s’amusent plus, fassent l’exercice de style, jouent, fasse de leur roman un plaisir coupable. Avec Les Territoires du Nord-Ouest, Laurent Chabin livre un histoire qui respecte son style d’écriture, sa logique de pensée, sa personnalité. Ce court roman en est un sérieux. Bien sûr, il n’y a rien de mal à tout cela : l’écriture du prolifique et talentué Chabin est particulière et elle pousse encore une fois à la réflexion. On a l’impression de lire le cousin thrash du roman Le vide, de Patrick Sénécal. Les descriptions sont prenantes, l’idée est dérangeante. Mais le ton est lourd, la pause s’impose. Un roman pesant, pour ses 81 pages, qui ne laisse pas sans questionnement. Peut-être un peu trop élitiste pour un roman de gare, voilà tout.

Les Territoires du Nord Ouest, de Laurent Chabin, aux éditions Coup de tête, 82 pages.

L'ailleurs de Gilles Jobidon

Après avoir publié quelques romans, des livres d’art et un recueil de récits poétiques, Morphoses, Gilles Jobidon nous revient cette année avec un premier recueil de nouvelles, D’ailleurs, une petite plaquette de 78 pages.

Les sept nouvelles qui composent ce recueil montrent que Gilles Jobidon sait créer des personnages habités et forts. Les histoires sont souvent axées sur un seul personnage et leur habile construction nous laissera un impact plus marquant. La seule exception à cette règle est « Ly Sanh », donc l’action est supposée se dérouler au Vietnam, tout de suite après la fin de la guerre. Malheureusement, la voix narrative du personnage ne colle pas au propos, ni pour l’époque, ni pour le lieu. Il s’agira d’un petit accroc : les autres histoires s’avèreront intéressantes à leur façon. Les plus réussies sont les premières, qui mettent en scène des personnages qui cherchent leur bonheur ailleurs, et finissent pas perdre celui qu’ils avaient déjà. On a presque cru que ce serait le thème général du recueil, mais on s’était trompé… Si on avait une autre critique à faire, ce serait peut-être qu’il manquait à ce recueil de fil conducteur.

D'ailleurs, de Gilles Jobidon, chez vlb éditeur, 78 pages.